La méthode Feldenkrais® gagne gentiment en popularité dans notre région. Pour vous la faire découvrir plus en détail, nous avons interviewé Mme Heidi Borel, praticienne Feldenkrais® à Neuchâtel.

Pouvez-vous vous présenter et décrire vos activités ?

Infirmière de formation, j’ai exercé ce métier pendant environ 20 ans, principalement en tant qu’infirmière de santé publique dans les soins à domicile. Dans les dernières années, je me posais beaucoup de questions sur l’évolution de cette profession, qui correspondait de moins en moins à celle que j’avais choisie. Je cherchais à me reconvertir.

Je me suis intéressée à beaucoup de pratiques alternatives, sans que je trouve celle qui me donnait envie de l’étudier. Puis j’ai découvert le Feldenkrais® chez une masseuse, également praticienne Feldenkrais® et qui m’a parlé de cette Méthode en m’en faisant une petite démonstration. J’ai senti certaines parties de moi-même d’une façon complètement nouvelle, qui m’a enthousiasmée. J’ai commencé de suite les cours de groupe chez elle et 6 mois plus tard en 2002, je m’inscrivais à la Formation de Bienne-Neuchâtel, première formation dans la région. Notre directrice pédagogique Elizabeth Beringer de San Diego en Californie, a elle-même été formée par Moshe Feldenkrais, le créateur de la Méthode, dans les années 70.

Dès le début, j’ai quitté mes activités d’infirmière pour me consacrer à ma formation et suis devenue indépendante en 2005 à la fin de mes études. En 2009, des raisons personnelles m’ont amenée à reprendre mon activité d’infirmière, dans le domaine de la gériatrie cette fois, tout en maintenant un peu de mes activités thérapeutiques. Puis, j’ai renoué avec l’indépendance, en 2017. Actuellement, en parallèle avec mon activité d’indépendante, je suis engagée un après-midi par semaine au Dispensaire des Rues à Neuchâtel.

J’ai 60 ans et suis mère de deux fils adultes.

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Comment agit cette méthode ?

La méthode Feldenkrais® développe la mobilité, améliore la coordination, augmente le plaisir du mouvement en diminuant l’effort.

À travers la plasticité neuronale, (cette capacité fondamentale de notre système nerveux de se modifier par l’expérience), elle utilise le mouvement et l’attention à soi comme moyen pour accéder au cerveau et à son incroyable capacité à créer de nouvelles connexions.

Par des gestes inhabituels, ludiques et doux, les élèves affinent leurs perceptions. Ils s’exécutent dans la lenteur et l’attention, permettant ainsi de prendre conscience des habitudes dans la manière de bouger, habitudes étant très souvent la cause des maux et des douleurs chroniques. Avec le temps nous avons tendance à perdre une partie du répertoire de mouvements créés dès notre naissance. Dans nos sociétés occidentales, un très grand nombre de personnes ne s’asseyent plus par terre, par exemple…. Ainsi toute cette organisation qui nous permet d’aller au sol depuis la position verticale et de retour, ne va plus être utilisée et va finir par disparaître du répertoire.

Les traumatismes, l’éducation, le style de vie, la profession, etc. vont également faire qu’au cours de notre existence notre potentiel de mouvements va diminuer et de ce fait réduire les options que nous avions développées beaucoup plus tôt.

La Méthode Feldenkrais® amène les gens à retrouver d’autres options et d’autres chemins en prenant conscience de leurs habitudes. Elle leur permet de réaliser que la façon de faire habituelle n’est pas forcément la plus simple et la plus efficace et qu’elle demande beaucoup d’effort.

Avec la Méthode Feldenkrais®, nous mettons donc l’accent sur l’apprentissage. L’exploration, la recherche du mouvement, l’attention à soi sont prédominantes.

 

Quels sont les clients principaux ?

La méthode s’adresse à tout le monde ! Certaines personnes présentent des douleurs, des limitations dans leurs mouvements ; d’autres souhaitent retrouver de l’aisance dans la vie de tous les jours ou dans une activité spécifique comme le sport ou un art (danseurs, musiciens, chanteurs, …)

De très nombreux artistes utilisent la Méthode Feldenkrais® pour améliorer leur art et souvent se forment pour devenir enseignants.

Chez les personnes âgées elle permet le maintien et le développement des capacités. Elle amène également une amélioration de l’équilibre.

Le travail avec des enfants ayant des besoins particuliers exige une formation spécifique.

 

Comment se déroulent les séances ?

Il y a deux sortes de leçons : en groupe et en individuel.

En groupe, les consignes sont données oralement. L’enseignant va les moduler pour permettre à chaque personne d’affiner sa perception. Les élèves sont invités à faire des mouvements lents et petits. Ainsi ils auront la possibilité de sentir le mouvement, de prendre conscience d’une habitude, comme celle d’arrêter de respirer quand elle se concentre ou de serrer les dents par exemple…

En général, il s’agit de cours hebdomadaires. L’étudiant peut choisir de travailler sur la durée (j’ai une élève qui est là depuis plus de 15 ans) ou par intermittence. Souvent, ceux qui arrêtent finissent par éprouver le besoin de revenir.

Les cours peuvent également prendre la forme d’ateliers sur un thème, se déroulant sur quelques heures voire une journée. Certains d’entre nous s’associent avec des enseignants d’autres disciplines, comme le yoga ou la danse par exemple. Pour ma part j’organise une fois par année un atelier Yoga-Feldenkrais® avec une professeure de yoga, ainsi que des ateliers réguliers avec une amie enseignant la danse expressive ou avec un collègue de Besançon praticien Feldenkrais® enseignant également une forme de mouvement dansé, Axis Syllabus. Toutes ces méthodes se marient très bien en s’enrichissant les unes les autres.

Dans les séances individuelles, la personne arrive la plupart du temps avec une demande qui peut être de l’ordre d’une limitation de mouvement, d’une douleur, d’un besoin d’améliorer un geste de la vie quotidienne. Parfois elle vient de subir une intervention chirurgicale et le Feldenkrais® devient complémentaire à la rééducation classique comme la physiothérapie ou l’ergothérapie par exemple.

La séance individuelle répond donc à une demande personnelle. Par un toucher précis, l’enseignant va stimuler la perception et le mouvement permettant ainsi à l’élève de ressentir comment les différentes parties de son squelette dialoguent entre elles et de prendre conscience de certaines habitudes.

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Pouvez-vous nous parler de la formation liée aux problèmes de sommeil?

Le « Sounder Sleep System » (Méthode de sommeil profond) a été développé par un praticien Feldenkrais®, Michael Krugman, également formé à la méditation et aux arts martiaux, sur base de son expérience avec l’insomnie. C’est une formation que je suis actuellement.

Cette méthode concerne essentiellement les problèmes de sommeil primaire, généralement liés au stress.

C’est un ensemble de Mini-mouvements qui vont être réalisés avec une qualité et dans un esprit particulier.

Ces Mini-mouvements sont de trois types :

  • Relaxants pour détendre le corps.
  • Calmants pour retrouver une respiration naturelle et un esprit serein.
  • Berceurs pour s’endormir le soir et se rendormir la nuit.

Nous entraînons le retour au calme durant la journée afin de le retrouver le soir à l’endormissement ou au réveil au milieu de la nuit. C’est le principe du « Better days for better nights ». C’est une rééducation du cerveau.

 

 

Pouvez-vous nous parler d’expériences marquantes avec vos élèves ?

Chaque fois que quelqu’un se relève de son tapis ou de la table et prend conscience qu’il peut à nouveau faire tel geste, qu’il a récupéré sa mobilité, qu’il a une autre perception de lui-même, c’est magique !

J’ai travaillé avec une dame âgée de 95 ans qui vivait en EMS. Elle avait une hémiplégie gauche, et était en fauteuil roulant. Un peu avant Noël, je l’ai trouvée complètement stressée, car elle avait voulu écrire ses cartes de vœux comme chaque année, mais ce jour-là elle devait constater que son écriture était illisible. Je lui ai proposé de faire une leçon sur ce thème-là. Nous avons joué avec ses appuis, fait des mouvements pour retrouver le lien entre son bras, sa colonne vertébrale et son bassin. À la fin de la leçon, elle a repris son crayon et a recommencé à écrire très lisiblement.

Un autre exemple avec un jeune migrant apprenti carrossier qui, en raison d’un problème de nuque, n’arrivait plus à lever la tête. Dès son arrivée, j’observai qu’il tremblait de tout son corps. Pendant la séance, nous avons parlé de ses tremblements et de leur origine. Ces derniers étaient apparus à la suite d’un séjour en prison où il avait été torturé. Sur la table, il a pu sentir que de nombreux muscles restaient contractés en permanence. En prenant conscience de cela, il a pu apprendre à les relâcher facilement. Par l’expérience du mouvement, il a réalisé que ses contractions musculaires étaient en lien avec la terreur qu’il avait vécue en prison, mais qu’ici en Suisse il se sentait en sécurité et qu’il s’agissait d’une mémoire, d’une perception erronée.

À la fin de la leçon, il a constaté qu’il ne tremblait plus.

Un autre cas, celui d’une professeure de yoga qui tenait toujours la tête inclinée d’un côté.

En utilisant cette habitude comme thème de la leçon, elle a réalisé que c’était exactement la position qu’elle avait lorsqu’elle téléphonait. Elle tenait toujours le téléphone du même côté. Il a suffi qu’elle apprenne à utiliser son téléphone d’une autre manière et le problème s’est réglé tout seul.

« Si on sait ce qu’on fait, on fait ce qu’on veut. » (Moshe Feldenkrais)

 

 

Selon vous, comment trouve-t-on la thérapie adaptée à son problème ?

Personnellement, le bouche à oreille reste la meilleure façon de trouver un-e thérapeute. Il est intéressant ensuite de pouvoir consulter leur site internet pour en savoir plus. La plupart de mes élèves ont eu mes coordonnées par quelqu’un me connaissant.

 

 

Comment vous ressourcez-vous ?

J’aime la nature, mon lieu de ressourcement, toujours liée au mouvement. Je pratique la marche, la méditation en nature, le ski. Je me déplace à vélo.

J’aime la lecture, et je me ressource avec les personnes qui me sont proches.

J’aime aussi le cinéma, la culture.

Je suis très intéressée par les changements de notre société et essaie d’y participer à ma mesure. Je suis membre d’une épicerie coopérative. Nous sommes sur le point de mettre en place un système de maraîchage coopératif afin de cultiver les légumes qui seront disponibles au magasin.

Le processus décisionnel est la gouvernance partagée. C’est novateur et je me sens bien dans ce type d’organisation respectueuse de chacun !

 

 

Souhaitez-vous ajouter quelque chose ?

Feldenkrais® est une méthode moins connue en Suisse romande qu’en Suisse alémanique. Mais petit à petit des étudiants se forment et viennent augmenter le groupe des praticiens romands.

Quelques personnes sont en train de se former dans le canton. La formation se déroule sur 4 ans, soit quelque 800 heures de cours en différents modules. Il y a beaucoup de travail personnel et d’intégration.

Nous avons une certification organisée par l’Association Suisse Feldenkrais® qui exige un minimum d’heures de pratique et de formation continue garantissant ainsi la qualité.

En suivant une formation supplémentaire, nous pouvons obtenir le titre de Thérapeute complémentaire avec un diplôme fédéral.

La méthode Feldenkrais® est reconnue par la plupart des caisses maladie complémentaires, avec quelques exceptions. L’Association est en relation avec les caisses qui refusent encore la prise en charge. C’est un travail de longue haleine.