L’alimentation est un domaine complexe qui passionne les foules mais qui n’est pas toujours très bien compris. Pour s’y retrouver dans ce dédale, rien ne vaut la parole d’une diététicienne. L’équipe de Naturaly a interviewé la diététicienne Séverine Chédel et sa stagiaire Lara, qui ont aimablement accepté de répondre à nos questions.
Pouvez-vous vous présenter et présenter vos activités ?
Mon nom est Séverine Chédel, je travaille en collaboration avec deux collègues diététiciennes dans notre cabinet Espace Nutrition à Neuchâtel qui fêtera ses 25 ans d’activité en 2021.
Nous l’avons appelé « Espace Nutrition » parce que nous voulions allier l’activité de consultation avec celles de prévention et de promotion de la santé.
Notre activité principale est la consultation diététique que nous effectuons dans notre cabinet mais également chez des médecins à Concise et à Bevaix. En plus des consultations, nous dispensons des formations à l’Université Populaire, dans les écoles et les fédérations sportives. Nous supervisons aussi les menus pour des homes et des traiteurs fournissant les crèches, nous collaborons avec le Département de la santé publique pour la prévention santé et nous animons, entre autres, des ateliers pour seniors.
Malgré un emploi du temps bien chargé, l’indépendance nous laisse une certaine souplesse. Cela nous a permis de nous occuper de nos enfants parallèlement à notre activité professionnelle. Sans oublier que nous devons prendre le travail quand il se présente.
À titre personnel, je fais aussi partie du Comité scientifique de la HES qui s’occupe de la formation continue en Suisse romande et du groupe média de l’Association suisse des diététicien-ne-s, quand il faut répondre aux journalistes.
Comment se déroule une séance en cabinet et à quelle fréquence vos patients/clients reviennent-ils ?
En règle générale, c’est le médecin traitant qui nous envoie les patients, d’autres personnes viennent par une démarche privée. La personne reçoit un bon (= prescription diététique) renouvelable valable pour 6 consultations. Comme nous sommes reconnues par les caisses maladie (assurance de base), nos prestations sur prescription médicale sont remboursées lorsque des problèmes de santé sont présents.
Quand un futur patient nous téléphone, on commence par fixer les deux premières séances. La première séance est plus longue, elle peut durer à peu près 45 minutes. Nous faisons le tour de la situation avec le patient : ce qui l’amène, son état de santé, ses objectifs, ses attentes, ses habitudes alimentaires. Puis nous discutons de ce que nous allons mettre en place.
Les séances suivantes sont des séances de conseils ou de suivi. Elles sont plus courtes (environ 30 minutes) et sont planifiées en fonction de la situation. Cela peut être une fois par mois, une fois par semaine, tous les trois mois, … Chaque personne et chaque situation sont différentes. Nous devons nous adapter aux besoins spécifiques de chacun-e. Certain-e-s ont besoin de beaucoup de soutien et de cadrage pour avancer, d’autres ont juste besoin de deux-trois conseils.

La salle d’attente d’Espace Nutrition à Neuchâtel
Il est difficile pour le commun des mortels de faire la différence entre les différents prestataires du domaine de la diététique ou de la nutrition tant il y a d’acteurs et de conseillers partout. Pouvez-vous nous donner un aperçu du monde de l’alimentation ?
En Suisse, la seule profession reconnue dans ce domaine par les lois sur les professions de la santé est une formation Bachelor de diététicien-ne. Les autres formations ne sont ni reconnues ni protégées et il y a un certain « flou artistique » chez les nutritionnistes. Ce terme n’étant pas protégé, n’importe qui peut suivre une formation d’un weekend et se faire appeler nutritionniste. Il y a de tout. Par exemple, un médecin nutritionniste est un médecin ayant suivi un module « post grade », alors qu’un nutritionniste peut n’avoir que quelques heures de formation. Il faut donc bien se renseigner avant de consulter.
Contrairement aux formations de diététicien-ne-s en HES, les cours de nutrition traitent essentiellement d’une alimentation normale, sans aborder les liens entre nutrition et pathologie, avec le diabète par exemple. Ils sont souvent axés sur la perte de poids et l’équilibre alimentaire. En diététique, on considère chaque personne de manière différente en fonction de ses spécificités et d’éventuelles pathologies. La formation de diététicien-ne est une formation scientifique basée sur la recherche en la matière et elle aborde bien d’autres aspects que la perte de poids.
Un autre problème dans ce domaine est que tout le monde se croit spécialiste ! Tout le monde mange, donc tout le monde a un vécu alimentaire. Mais cette expérience personnelle n’est pas universelle, ce qui est bon pour une personne ne le sera pas forcément pour une autre et dans certain cas pourrait même être dangereux (par exemple : les expériences de jeûne/jeûne intermittent ou la suppression d’aliments (lactose, gluten, …) sans avis professionnel).
Quelles sont les personnes qui font appel à vos services en général ?
Bien sûr, beaucoup de patients viennent nous voir pour perdre du poids. Nous traitons aussi tous les troubles alimentaires, comme l’anorexie, la boulimie, la dénutrition chez les personnes âgées, le diabète, le cholestérol, de digestion, de perte de goût, de ballonnements ou d’hygiène de vie chez l’adulte ou l’enfant,…
La plupart des patients qui viennent pour perdre du poids ont vécu ce fameux effet yo-yo, qui consiste à se priver de nourriture pour perdre du poids, puis à reprendre des kilos, ce qui induit la culpabilisation.
En plus du traitement des pathologies, notre activité comprend aussi la promotion de la santé ! Nous effectuons des bilans pour des sportifs, prodiguons des conseils pour des femmes enceintes ou souhaitant procréer. Cependant, nous ne pratiquons pas d’examens sanguins, domaine réservé aux cliniques et hôpitaux.
La diététique concerne tout le monde, des enfants aux personnes âgées. Pour toutes ces populations, nous nous concentrons sur les explications concrètes, pratiques, afin de déconstruire les idées reçues.
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon diététicien/une bonne diététicienne ?
C’est sans hésiter l’empathie et la relation avec son patient. L’alimentation est un sujet sensible, souvent émotionnel. Il arrive que des personnes pleurent pendant les consultations. Le fait que notre activité touche la sphère émotionnelle a longtemps été ignoré. Aujourd’hui, la formation de diététicien-ne, en plus de la partie scientifique, comprend des enseignements en psychologie et en pédagogie.
Il y a beaucoup d’idées reçues sur notre profession, les personnes pensent que nous allons leur donner une liste de ce qu’ils peuvent manger, ce que ferait peut-être un nutritionniste. Nous ne sommes pas là pour ça ! Dans notre métier, tout n’est pas blanc ou noir, bon ou mauvais. Notre approche est plus nuancée et nous devons prendre tous les aspects en compte. Bien sûr, la science et la santé, mais aussi le plaisir et la convivialité.
En plus de l’écoute, la capacité à se remettre en question est aussi importante ! Cette profession est en évolution permanente ! L’alimentation change beaucoup et très rapidement, autant d’un point de vue scientifique que dans le choix des aliments.
Aujourd’hui, nous voulons changer la vision rigide du métier, lui donner une image plus nuancée. Il n’y a pas que des « interdictions » ! Quand je suis au restaurant avec des amis, ils me demandent parfois avec surprise « tu prends un dessert ?? » ! *rires*
Avez-vous une anecdote à raconter ?
Souvent, la personne qui nous consulte est désarçonnée par notre approche tout en nuances, s’attendant plutôt à ce que nous soyons directives.
Certains de nos patients viennent nous voir depuis des années, quasiment depuis l’ouverture du cabinet. Ils auraient toutes les connaissances pour agir par eux-mêmes, mais ça les rassure de nous consulter une ou deux fois par an.
Est-ce qu’il y a quelque chose d’autre que vous souhaiteriez dire aux lecteurs de Naturaly sur ce domaine ?
Un-e diététicien-ne ne va pas vous donner le xième régime de plus. Ce n’est pas notre rôle. Aujourd’hui, le grand public a accès à énormément d’informations et la tentation est présente partout et tout le temps. D’un autre côté, il y a aussi beaucoup d’interdits. Le public est perdu et il oscille en permanence entre tentation et culpabilisation. Nous voulons réconcilier ces deux aspects. La formation de diététicien-ne a cet avantage sur les autres formations qu’en plus des connaissances en diététique, nous prenons en compte l’aspect comportemental.
Et non, les patients ne se font pas frapper s’ils désobéissent à nos recommandations ! Il n’y a pas d’alimentation « juste » ou « fausse ». C’est parfois difficile à accepter, mais en réalité il faut faire des choix, des compromis, sans oublier bien sûr l’aspect plaisir, convivialité et aussi écologie !
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la formation de diététicien-ne ?
L’avantage de cette profession est que le domaine d’activités est grand et que les étudiants finissant leur formation trouvent souvent du travail et pas uniquement en cabinet. On retrouve des diététicien-ne-s dans les domaines de la promotion de la santé, de la santé publique, de l’agro-alimentaire. Il y a actuellement peu de chômage dans cette profession.
En Suisse romande, il n’y a qu’à Genève qu’il est possible de suivre cette formation, à la HES-SO (Haute école spécialisée). Sinon, il faut aller à Berne. La formation est sanctionnée par un Bachelor en Nutrition et Diététique ; elle se déroule sur trois ans et comprend plusieurs stages pratiques. Chez Espace Nutrition, nous accueillons des stagiaires tous les ans. Les exigences de la formation augmentent chaque année et les inscriptions aux écoles se font par concours d’entrée. Un master est également en train de s’ouvrir en Suisse.
Vous souhaitez en savoir plus? Visitez https://www.espace-nutrition.ch/fr